Numéro 135 de Brussels Studies, Revue interdisciplinaire de recherche sur Bruxelles, par Adèle Garnier et Annaelle Piva
Participation au marché du travail des réfugiés et demandeurs d’asile à Bruxelles : Innovation et complémentarité institutionnelle
La crise de l’accueil des migrants, fraîchement arrivés ou en transit à Bruxelles, qui s’éternise ne doit pas occulter le fait que des réfugiés et des demandeurs d’asile sont d’ores et déjà officiellement présents sur le territoire régional. Dès lors se pose aussi à Bruxelles la question de leur participation au marché du travail.
En Région de Bruxelles-Capitale, cette question vient se superposer à deux autres enjeux connexes : la faible participation et les difficultés d’accès de la population d’origine non européenne au marché du travail, d’une part, et la mise en place des parcours d’intégration des primo-arrivants, d’autre part.
Il n’existe cependant pas d’organisme spécifique soutenant l’emploi des réfugiés et demandeurs d’asile. Comme les autres chercheurs d’emploi, les réfugiés et demandeurs d’asile ont accès à l’agence régionale pour l’emploi, Actiris, aux réseaux communaux de soutien à l’emploi tels que les maisons de l’emploi, ainsi qu’aux services d’intégration socioprofessionnelle (ISP) des Centres Publics d’Action sociale (CPAS). Il existe également un tissu associatif dense focalisé sur la participation socio-économique des réfugiés et immigrés.
Comme bien souvent, cette organisation peut paraître pour le moins complexe du point de vue de l’utilisateur. Cette complexité a également titillé la curiosité de deux chercheuses : Adèle Garnier, enseignante en sciences politiques à la Macquarie University (Sydney, Australie) et Annaelle Piva, doctorante en géographie à l’Université Laval (Québec) et Paris 1 Panthéon Sorbonne. Le numéro 135 de Brussels Studies synthétise leurs constatations.
Les deux chercheuses ont consacré l’essentiel de leur attention à l’organisation du soutien à l’emploi. Elles constatent ainsi que l’accompagnement des « primo-arrivants » est pris en charge par une multitude d’organisations aux actions plus ou moins fortement coordonnées. Le tout dans un contexte où la politique d’aide à l’emploi semble relativement réfractaire à un soutien ciblé des réfugiés et demandeurs d’asile.
Leur analyse a comparé quatre initiatives œuvrant spécifiquement à favoriser la participation des réfugiés et demandeurs d’asile sur le marché du travail et de la manière dont elles composent avec le paysage institutionnel et les réalités de terrain, en les examinant sous l’angle de l’innovation dont elles font preuve. Il s’agit d’une initiative parapublique, les Bureaux d’Accueil pour Primo-Arrivants (BAPA), d’une association de mentorat intergénérationnel, Duo for a Job, d’une mobilisation patronale, la Taskforce Crise des Réfugiés de la FEB et de la mise en place de stages à destination des réfugiés et demandeurs d’asile au sein d’organisations internationales, Tandem.
La complémentarité entre ces initiatives est fortement mise en avant dans les discours des acteurs de terrain, soulignant le rôle d’information et de relais qui est souvent nécessaire. Mais la complémentarité est aussi liée voire imposée par la faiblesse, voire carrément par la disparition des moyens spécifiquement alloués à l’intégration des réfugiés. Cela a un effet au niveau du travail quotidien avec les bénéficiaires, mais aussi en termes de coordination entre les initiatives, qui peinent à passer d’une interconnaissance et une coordination informelle (et partielle) à une coordination plus formelle (et systématique). Actiris, en tant qu’agence régionale pour l’emploi, aurait pu se positionner comme le vecteur « naturel » d’une telle coordination. Mais plus que les autres agences régionales, le Forem en Wallonie et VDAB en Flandre, Actiris met en avant l’universalité de ses mesures d’assistance à la recherche d’emploi. À Bruxelles, le soutien à l’emploi des primo-arrivants fait donc partie de la promotion de « l’emploi pour tous », ce au détriment d’une action plus ciblée.
Dans le domaine de l’emploi aussi, l’accueil des migrants a suscité une réelle innovation sociale, à laquelle contribue peut-être la complexité institutionnelle bruxelloise. Mais, comme bien souvent aussi, une coordination et une pérennisation de ces initiatives semblent manquer.