« Ce mois de décembre, l’accueil de sept Missions Locales sur neuf restera fermé ! ». Une décision temporaire, mais récurrente, signalait la FeBISP dans un communiqué de presse, fin de l’année 2013. Pourquoi ? Quelles tensions, quelles revendications se cachent derrière cette décision ? Le CBCS a voulu en savoir plus à propos de cette fermeture contrainte et forcée.
Julien Winkel (Alter Echos, lire aussi « La réforme du chômage pour les nuls ») a retracé, pour nous, l’historique de l’ordonnance relative aux Missions Locales, tant attendue. Ce qui permet d’éclairer certains enjeux, de questionner le rôle attribué à ces structures : sont-elles des gestionnaires de dossiers, des accompagnatrices socioprofessionnelles de qualité ? Bien que l’accueil, le conseil et l’information en matière d’orientation professionnelle, d’emploi et de formation à destination des demandeurs d’emploi peu qualifiés constituent leurs missions de départ, les missions locales ont dû se débrouiller, s’adapter à la réalité. Avec les moyens du bord. Aujourd’hui, leurs revendications semblent avoir été entendues : refinancement du secteur et limitation du nombre de demandeurs d’emploi pris en charge par chaque consultant à 150. Reste à voir si cela permettra de mettre en place un travail réel d’accompagnement du demandeur d’emploi en difficulté. Au-delà d’une simple mécanique au service des politiques d’activation.
Le CBCS asbl.
Voilà longtemps que les missions locales demandaient un financement plus ambitieux. Notamment pour faire face au flux grandissant de chômeurs se présentant chez elles. Elles devraient disposer de leur arrêté de financement avant la fin de la législature. Un événement, alors que le dossier semblait s’enliser. Mais comment ont-ils fait ?
On ne doit pas être loin d’un record aux parfums de Santa Barbara. Plus de cinq longues années après sa naissance, l’ordonnance relative aux mission locales devrait bientôt bénéficier d’un arrêté de financement. Le cabinet de Céline Fremault (CDH), ministre bruxelloise de l’Emploi, s’est en effet engagé à faire passer le dossier avant les élections du 25 mai 2014.
Cet événement devrait constituer le « climax » tant attendu d’une histoire débutée le 7 novembre 2008 par l’adoption de l’ordonnance dédiée au secteur. Depuis, l’affaire avait avancé à un train de sénateur. En plus de 60 mois, seuls deux arrêtés d’exécution avaient été votés. Le 24 septembre 2009, pour l’instauration d’un comité de collaboration entre les missions locales, les Lokale werkwinkels, Actiris et le ministre de l’Emploi. Et le 8 mars 2012, à l’occasion d’un arrêté relatif à l’agrément des structures. A part ça…
Pour rappel, voilà des années que les neuf missions locales se plaignent d’un afflux de public sans cesse croissant. L’un des responsables de cette situation est d’ailleurs tout trouvé : l’activation des chômeurs. Suite à celle-ci, ils seraient de plus en plus nombreux à se présenter aux portes des missions locales. Notamment pour bénéficier du travail en insertion socioprofessionnelle qu’elles effectuent. Disposer d’un financement suffisant pour accompagner qualitativement ce public était donc devenu une condition sine qua non des missions locales. Et une revendication récurrente. Que la lenteur avec laquelle le dossier de la « nouvelle » ordonnance se mouvait n’a pas arrangé.
Un secteur mobilisé
Face à cette lenteur, le secteur s’était mobilisé. Au point d’aller faire le pied de grue, le 17 janvier 2013, devant le cabinet de Benoît Cerexhe (CDH), alors ministre de l’Emploi à Bruxelles. Il s’agissait de demander 18 millions d’euros pour les missions locales « afin d’effectuer le travail qui leur est demandé ». Le 29 janvier 2013 enfin, c’est au cinéma Vendôme que les neufs « ML » rencontraient des représentants du ministre. But de l’opération : leur remettre un « Livre blanc des missions locales », fruit des réflexions menées par les travailleurs au cours de trois journées de travail pilotées par la mission locale de Saint-Gilles. L’occasion pour un secteur traditionnellement varié de se rassembler et de prendre des positions communes sur des sujets comme l’activation des demandeurs d’emploi ou le partenariat avec Actiris. Avant d’insister à nouveau sur un arrêté de financement toujours dans les starting blocks.
Comment expliquer cette lenteur ? Luca Ciccia, directeur de la mission locale de Saint-Gilles, nous livrait à l’époque son analyse : « L’ordonnance est mal née. Son texte a été rédigé sans consulter le secteur et ne lui correspond pas. » Résultat des courses, il semble que le cabinet de Benoît Cerexhe se soit trouvé dans l’obligation de corriger le tir dans les arrêtés. Un travail long et pénible. D’autant plus qu’à la faveur des élections communales d’octobre 2012, Cerexhe revêtait l’écharpe mayorale de Woluwé-Saint-Pierre. Et laissait sa place à Céline Fremault, qui devait s’emparer du dossier. Avant de se faire allumer par les missions locales en octobre 2013.
Car à cette époque, l’ordonnance, n’a toujours pas son arrêté de financement. Et les missions locales chargent. Alors qu’elles réclament toujours 18 millions d’euros, elles accusent la nouvelle ministre de ne mettre que huit millions sur la table en réalisant un tour de passe-passe : considérer certaines sources régionales de financement des ML comme étant susceptibles de couvrir les missions de l’ordonnance. Alors qu’elles concerneraient en fait des actions menées hors de celle-ci.
Au cabinet de Céline Fremault, on s’étrangle. Et on évoque des difficultés de dialogue tout en admettant « qu’il y a une vraie discussion » entre les deux parties. Une vraie discussion qui serait néanmoins tachée à ce moment d’incompréhension de la part des missions locales en ce qui concerne le système de financement proposé. « Les missions locales ont toutes une organisation et une réalité budgétaire très différente. Elles dépendent de plus d’énormément de sources de financement, d’un melting-pot de conventions. Ce qui empêche une bonne lisibilité de la situation et rend compliquée la rédaction d’un arrêté qui convienne à tout le monde », expliquait-on chez Céline Fremault. La situation semblait bloquée, à quelques mois des élections.
Tout le monde est content ?
Aujourd’hui, tout le monde semble pourtant avoir le sourire. C’est qu’un protocole d’accord est depuis lors tombé du ciel, le 5 février 2014 dernier. Signé par le cabinet, Actiris, les Missions locales et les Lokale Werkwinkels, il a tout d’un faiseur de miracle. Son mérite ? « Le dossier de l’arrêté de financement était tellement technique que les différentes parties avaient parfois du mal à se comprendre. Le but du protocole était de concrétiser en langage courant ce que les différentes parties convenaient ensemble. Cela a rendu les choses plus palpables, et la négociation plus fluide », explique-t-on au cabinet de Céline Fremault.
Le contenu du protocole comprend donc les principes qui se trouveront, dans un langage plus juridique, dans l’arrêté de financement. « Le protocole est un engagement. C’est ensuite au cabinet de le transcrire dans l’arrêté de financement », continue-t-on au cabinet de la ministre. Un arrêté qui est d’ailleurs passé en première lecture le 27 février 2014 devant le gouvernement. Du côté du secteur, on affiche en tous cas son contentement. « Nous sommes satisfaits, le protocole balise la situation », affirme Marc Rents, directeur de la mission locale de Schaerbeek. A la Fébisp (Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle et d’économie sociale d’insertion), qui fédère les neufs missions locales, on déclare également que l’« on abouti à un arrêté convenable. Nous sommes favorables au fait de le faire passer rapidement ».
Que devrait contenir l’arrêté ? Premièrement, les montants des subventions ne pourront être inférieurs aux montants des financements actuels perçus par les Missions locales pour la mise en œuvre des actions visées par l’ordonnance. L’arrêté prévoira notamment le financement d’une équipe chargée des missions de base des missions locales (direction, services transversaux). Celle-ci sera composée à terme de neuf personnes, alors que l’on en est à six aujourd’hui. Autre financement prévu : celui d’une équipe dédiée aux missions générales. Elle sera composée d’une équipe de consultants chargée d’accompagner 10% des demandeurs d’emploi de la zone d’influence de la mission locale. Un « détail » important puisque les ML se trouvant dans des zones à forte densité de demandeurs d’emploi devraient donc bénéficier d’un financement leur permettant de disposer d’un nombre de consultants suffisants pour accompagner ce public. Les « fameux » 18 millions revendiqués de manière globale sont-ils en vue ? Probablement pas, mais pour Marc Rents « Le nouveau mode de financement – ndlr : les deux financements évoqués plus haut – induit une évolution, une perspective de rattrapage pour les missions locales. »
Plus globalement, le cabinet de Céline Fremault affirme lui aussi que le mode de financement prévu rééquilibrera les ressources des missions locales. Le tout dans un sens qui correspondra plus à leur situation réelle. « Les situations des ML étaient très disparates, certaines avaient plus de contacts politiques que d’autres… », souligne-t-on. Notons que ce rattrapage devrait s’effectuer sur six ans. A terme, ce sont 12 millions qui devraient se retrouver sur la table, d’après le cabinet.
Plus de fermetures ?
Cette nouvelle situation devrait-elle empêcher les missions locales de fermer plus ou moins régulièrement ? En décembre 2013, la Fébisp annonçait que face à l’afflux de chômeurs, sept missions locales sur neufs étaient contraintes de fermer leurs portes temporairement. « Ces dernières ont d’abord essayé de répondre à l’ensemble des demandes ; ce qui a amené les conseillers emploi de certaines missions locales à traiter jusqu’à 500 dossiers par an », expliquait la fédération à cette époque. Une situation intenable. Ces fermetures devaient donc permettre aux consultants de traiter correctement les dossiers des demandeurs d’emplois déjà enregistrés, sans en ouvrir de nouveaux. A la mission locale de Schaerbeek, on précise d’ailleurs que seul l’accueil de la mission était fermé.
Une des revendications émise dans ce cadre était de limiter le nombre de demandeurs d’emploi par consultant à 150. Cette demande ne date d’ailleurs pas de hier… et a été entendue puisque le protocole d’accord la prévoit. 150 chercheurs d’emplois par conseiller : 100 envoyés par Actiris et 50 « libres », probablement issus de la mission locale elle-même. Il n’empêche : si ce chiffre devrait permettre aux missions locales d’offrir un accompagnement de qualité à chaque demandeur d’emploi pris en charge, il ne résoudra pas tout. Les missions locales ne devraient toujours pas être en mesure de prendre en charge tout le monde…
Julien Winkel, Agence Alter, 28/03/2014