BIS 181 : CE N'EST PAS LA TAILLE QUI COMPTE
(QUOIQUE...)

Se soucier de taille revient à s’interroger sur soi, sur les autres et, plus largement, sur son rapport à la société.
L’associatif ne fait pas exception.
A quelle échelle pourrait-on le mieux se renouveler ? Et si ce n’était pas une question de taille critique, mais plutôt de possibilité de se transformer – de changer de taille – quand le contexte et les missions le nécessitent ?

Leurs regards, notre histoire associative

La Revue Bis est partie à la rencontre d’anciens directeur.trices, travailleurs e travailleuses du social* qui ont décidé de quitter l’associatif ou bien d’y revenir par une autre porte. A partir de leur expertise professionnelle et subjective, ils donnent des éléments de réponse à notre question de départ : « quelle forme et quelle taille pour les associations de demain ? ». Ils tirent des fils, nous brossent les traits d’un associatif tout en contrastes : à la fois fort, libre, agile… Mais aussi criblé d’écueils et de besoins de renouvellement par rapport à notre société qui se transforme si rapidement. Entre ces regards croisés, un message d’alerte est lancé : l’associatif doit prendre soin de son propre écosystème – structures et travailleurs – au risque de terminer les mains plongées dans le cambouis au-delà des coudes à force de vouloir répondre à une urgence sociale, en vain. Reste à voir avec quels moyens et sous quelle forme.

C’est ce que notre dossier tente d’explorer. A son échelle.

*Merci à Delphine Chabbert, Marie-Caroline Collard, Thomas Lemaigre, Christophe Schoune, Alixe Anciaux, Manu Gonçalves, pour nous avoir accordé leur confiance.

Delphine Chabbert, députée francophone bruxelloise (PS). Elle a dirigé les études et occupé la fonction de Secrétaire politique de la Ligue des Familles de 2009 à 2019.

T comme taille

« J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de petites asbls qui ne s’en sortent plus. Je ne sais pas s’il faudrait réfléchir à une taille minimum, au risque de freiner l’innovation ». C’est une vraie tension. La création d’asbl se fait souvent à l’initiative de militants pour répondre à des besoins constatés sur le terrain. A l’heure actuelle, la concurrence entre associations est énorme, ce qui fait que parfois elles se fragilisent elles-mêmes. « Prenons l’exemple de très petites d’asbls, comme celles sur la monoparentalité que je connais bien, qui regroupent souvent des personnes concernées. Je les vois essayant de survivre, dans des situations de maltraitance institutionnelle et ça me fend le cœur. Malgré cela, elles parviennent quand même à politiser leur travail et je trouve ça remarquable ». 

A comme agilité

Le secteur associatif a besoin de se transformer. A cette capacité d’évolution, D. Chabbert croit plus que tout puisque agilité, innovation et liberté font partie de l’ADN du non marchand. « Pendant la pandémie, c’était le chaos pour tout le monde. Pourtant, on a vu émerger beaucoup d’initiatives du secteur social-santé pour répondre aux besoins, dans l’urgence ». Indéniablement, la liberté associative serait moteur de changement : « faire évoluer les pratiques, les manières de faire semble plus réalisable à partir du contexte associatif qui capte les enjeux et expérimente davantage que dans les administrations. Les grosses structures publiques sont plus complexes, elles ont une inertie plus forte ». D’où l’importance, selon elle, de renforcer le lien entre les petites, les grandes asbls et les pouvoirs publics. « Les pouvoirs publics (CPAS, hôpitaux, …) ont certes une importante capacité d’action, mais augmenter leur impact passe indéniablement par une articulation avec le secteur associatif plus proche du vécu des gens. Et ce, malgré une liberté associative paradoxalement sous contrainte, financièrement parlant.

P comme Pédaler
(dans la purée)

Bruxelles serait aujourd’hui dans une situation financière beaucoup plus catastrophique qu’il y a 10 ans, « les problèmes sociaux sont considérables, à cela s’empilent les problèmes écologiques et environnementaux… On a l’impression de pédaler dans la purée », résume T. Lemaigre. Les questions sont devenues tellement énormes que les petits leviers, même si nécessaires, ne suffiront pas. « Des alternatives autonomes, il en faudra toujours, et de toutes sortes, pour résoudre des situations locales, faire bouger les lignes dans les mentalités, amener plein de gens dans l’action collective… Mais aujourd’hui, il faut utiliser les gros leviers ! ». Le syndrome bruxellois serait de ne pas suffisamment penser la vie institutionnelle comme une boite à outils pour résoudre les problèmes : « on la pense comme un truc pour faire de la politique, pour passer sur BX1,… mais pas dans la construction d’une vision à long terme ». 

Thomas Lemaigre, paysan herboriste. Il a été rédac'chef d'Alter Echos, puis directeur de l’Agence Alter de 1996 à 2013.

A comme Alliances

Pour T. Lemaigre, L’associatif aurait perdu pas mal de sa capacité à créer un rapport de force avec le politique : « depuis 1976, tous les grands combats menés ont été perdus : émancipation des travailleurs, financiarisation de l’économie, fiscalité juste… ». Les raisons de cet échec ? Beaucoup d’acteurs associatifs ne peuvent pas imaginer des alliances entre ‘insiders’ et ‘outsiders’ : « difficile de se compromettre, ne fut-ce qu’en allant discuter, entre zapatistes et associatif traditionnel, par exemple »… C’est rare aussi que des associations qui sont là depuis longtemps fassent le pas d’aller vers des mouvements citoyens émergents. « Parfois, ça arrive, quand on est obligés, sur la question des réfugiés, avec les CPAS,… sous la contrainte, mais c’est alors souvent quand il est trop tard », fait-il remarquer. Le levier à actionner aujourd’hui serait peut-être celui-là, « trouver des alliances entre l’associatif installé et des collectifs plus émergents, plus fous, sans doute plus temporaires ».

Marie-Caroline Collard, accompagnatrice de dynamiques collaboratives (Happy Team) . Elle a été directrice de l’asbl SAW-B, fédération d'économie sociale pluraliste, de 2004 à 2021.

R comme Radicalité

M.-C. Collard croit en une forme de radicalité (et pas de radicalisme) dans l’expérimentation de petite taille. Elle croit en une forme d’allégalité (et non d’illégalité) : il en faut, selon elle, pour aller hors des cadres et des lois, pour oser se tromper, ruer dans les brancards, … C’est dans ces moments-là que l’engagement collectif et individuel serait le plus politique, le plus fort. Pour cette raison, « même quand des expériences s’instituent, garder de la diversité dans les tailles et dans le type d’expériences d’un secteur, est absolument nécessaire et bénéfique ». Dans le domaine de l’insertion, très institué, « est-ce qu’il y a encore de la place pour des structures qui inventent ? », se questionne-t-elle : « pas sûr » ou « de moins en moins sûr ». (…) « Je crois en ces expériences en mode micro, uniques et résolument innovantes, en ces lieux et ces gens qui creusent des sillons et qui, plus tard, vont être repris par d’autres ».

P comme Prendre soin

Garder le cap, selon M.-C. Collard, reste possible, mais c’est hyper exigeant. Cela coûte très cher à l’humain, aux équipes, aux personnes qui sont dans les fonctions de coordination et de direction. Elle sait de quoi elle parle : elle-même passée par un burn out – « Je n’ai pas su prendre soin de moi, j’avais un niveau d’exigence énorme dans ce projet de transformation sociale à SAW-B et par ricochet envers les travailleurs » – elle accompagne aujourd’hui des équipes dans cette recherche d’un équilibre à trouver. « L’organisation s’épuise moins vite que les gens », avertit-elle. En creux se lit la question du « prendre soin » qu’on évacue trop souvent : « on est des acteurs de lien, de soin, de tout ce qui va mal dans la société… ». Mais où trouver des lieux de ressourcement et de partage entre directions, cadres ? Entre travailleurs ? « Comment se rappeler que le lien entre nous, c’est le sens ? », insiste-t-elle. Nous ne prendrions plus ce temps-là : « au début de ma carrière, aller boire un verre avec un collègue faisait partie du travail. Petit à petit, il nous fallait arracher un temps pour le faire… Et ne parlons pas aujourd’hui, entre les mails, les réunions à distance… ». Ce temps du lien, le temps de tout ce qui va construire un collectif, les rituels, les passe-temps, serait pourtant indispensable pour s’autoriser de questionner ensemble ce qu’on fait. « C’est le temps de la vulnérabilité à soi, à l’autre, à l’équipe, à l’association, à la société. On a besoin de ces temps pour faire le vide… Dans le secteur hospitalier et dans les maisons de repos, tout tient sur les gens, mais plus qu’à un fil », alerte-t-elle. Rendre la liberté de retrouver du temps et de la respiration à tous les étages – individuel, équipe, organisation – serait urgent, au risque d’être uniquement dans du palliatif, « dans l’accomplissement des missions pour que cela aille moins mal. Mais tant qu’on met ces rustines sur les plaies sociales, on empêche juste que tout éclate ! ».

N comme Naufrage

Sommet de tous les superlatifs, la Conférence de Copenhague sur le climat fut un naufrage politique, selon C. Schoune. Face à l’ampleur de l’échec, les ONG furent tétanisées. Bien entendu, la vie d’une fédération ne pouvait se résumer à cela. (…) « On ne mange pas la main qui vous nourrit », aimait à dire un ancien ministre régional, confortant l’idée erronée que les moyens publics ne peuvent servir la critique de l’action publique. Face aux mouvements de crues et de décrues budgétaires liées à la composition des majorités politiques, nous n’avons pas ménagé notre peine pour diversifier les ressources : création de la Fondation d’utilité Be Planet, projets internationaux,… Aucune de ces pistes, cependant, n’a permis d’entrevoir une diversification financière suffisante, au moment de mon départ. Quant à la mise en œuvre du décret de financement des associations environnementales, adopté en 2014 sous notre impulsion, elle est restée au frigo dans lequel elle a été remisée depuis lors. Conséquence ? Les budgets stagnent et la concurrence entre les associations environnementales lors des appels à projets ponctuels sur lesquels reposent principalement les financements publics, en 2023, s’est accrue.

Christophe Schoune, journaliste (Imagine Demain le monde). Il a été Secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie de 2009 à 2019.

R comme Racine

Aujourdhui journaliste et actif dans le domaine de l’éducation à l’environnement et au développement durable (Climate Voices), Christophe Schoune a un leitmotiv : « travailler les enjeux à la racine. Riche de cette double identité professionnelle, j’apprécie d’allier la lucidité de l’analyse et des constats souvent douloureux à l’optimisme des actions susceptibles de faire grandir la toile des acteurs de changement. Dans cette perspective, le monde associatif et le journalisme ont des rôles cruciaux et des responsabilités complémentaires à jouer. En ce sens, il garde en tête ce qu’André de Béthune lui avait déclaré avec solennité, lors de son engagement au quotidien Le Soir, en 1990 : « Vous servirez un intérêt collectif qui vous dépasse, pensez-y chaque jour. »

Alixe Anciaux, ancienne travailleuse associative, chargée de mobilisation dans différentes asbls (Periferia, asbl Z,...)

M comme miroir
de la société

“Quand je suis arrivée dans l’associatif, j’avais un besoin de croire qu’il y avait de la justice et qu’on avait du pouvoir en tant que citoyen.ne”, se rappelle Alixe Anciaux. Malheureusement, ses rêves de justice sociale, elle en est un peu revenue aujourd’hui : « J’ai l’impression qu’on est parfois le miroir d’une société qu’on souhaite dénoncer. Une surcharge et une non-reconnaissance de notre travail, peu de moyens, des charges administratives importantes et des gros gourous indéboulonnables ». A titre d’exemple, elle cite notamment la mise en compétition des projets et des associations et ce sentiment d’urgence (social, climatique,…) qui ne permet pas de prise de recul sur la manière de travailler. Cela ne relève pas de mauvaises intentions, mais plutôt de la méconnaissance. Et puis le non-marchand, ce sont des emplois précaires. Et qui peut se permettre une instabilité financière ? « Des personnes qui n’ont pas été dans la précarité toute leur vie ! Dans la société actuelle, tout le monde n’a pas les mêmes disponibilités (émotionnelles, familiales, en termes de santé, etc.) à travailler pour la bonne cause. Et la précarité, n’est pas que financière !

G comme génération

Alixe Anciaux se dit impressionnée par ces nouvelles générations ultra informées sur des questions environnementales, sociales, anti-racistes. Elle constate un décalage sur le terrain entre différentes générations de militants : « Face à ces luttes parfois qualifiées d’’émergentes, l’associatif répond “oui, oui on connaît !”. Le festival Esperanzah a été pensé sur les luttes anti-racistes des années 90, mais l’anti-racisme de ces années-là, ce n’est plus le même qu’aujourd’hui. On reste sur nos assises, ce que l’on a déjà conquis ». (…) Une piste de solution repose sur la transmission des compétences, des ressources, du réseau. « Il faut que les anciennes générations soient plus à l’écoute des nouvelles et parfois laissent la place. Il y a souvent ce préjugé que les nouvelles générations ne sont pas aptes. En tant qu’association bien installée, on a tout intérêt, au contraire, à soutenir des collectifs qui se mettent en place ». Elle constate beaucoup de turn overs, de burn out dans l’associatif : « Ce que certain.es n’ont pas compris dans le secteur c’est que les jeunes ne veulent plus se tuer au travail. Si le secteur ne l’anticipe pas, ça va poser des problèmes, des démissions par exemple. Une différence générationnelle aussi, c’est que les jeunes ont beaucoup moins de scrupules à claquer la porte ».

M comme Mutualiser

La mutualisation pourrait être, selon lui, une « réponse intelligente de l’associatif au manque de moyens – payer un comptable, un informaticien, une DRH entre plusieurs associations, cela se fait déjà, à petite échelle, entre certains services de santé mentale -, mais il faut qu’on la politise ! ». Il donne pour exemple la création avec des informaticiens compétents d’outils propres au secteur associatif, l’utilisation d’ordinateurs de récupération en lien avec une boite d’économie sociale… « Là, ce serait de la mutualisation politique ! ». Mais en réalité, ce n’est pas suffisant, « c’est abdiquer sur le fait que des institutions d’aide et de soins qui ont des missions publiques, doivent se débrouiller pour fonctionner comme n’importe quelle société commerciale », se reprend-t-il. « Ne devrait-on pas plutôt politiser la dimension économique de nos institutions ? Faire les liens avec l’économie sociale en tant qu’économie alternative à l’économie capitaliste ? ».

Manu Goncalves, directeur de Messidor-Carrefour (IHP). Il a été co-directeur du Service de Santé Mentale Le Méridien de 2005 à 2022.

E comme Eloge de la complexité

M. Goncalves constate combien le vivre-ensemble brasse beaucoup plus de différences qu’avant, ce qui rendrait plus difficile de « faire émerger un ‘nous’. C’est quelque chose qui me fait de la peine », confie-t-il. Il remarque paradoxalement « une forme d’appétence, de mouvement qui va vers ce collectif, au-delà de la tentation individualiste ». Il évoque le concept d’intersectionnalité, l’idée selon laquelle « il n’y pas qu’une domination, mais des dominations qui s’articulent les unes aux autres ». C’est à partir de là que nous pourrions « faire l’expérience commune du nous » selon lui. « Faire l’effort de penser nos conditions d’existence. Avec toute la complexité qu’elles ont, avec nos savoirs situés, avec nos expériences professionnelles et humaines, en tant que parents, amis, fratrie, conjoints ». Sans oublier que le collectif n’est pas une garantie du commun : « il ne suffit pas de s’asseoir autour de la table pour que du ‘nous ‘ en sorte ! On doit tenir compte de ce qui nous domine et domine l’autre, pouvoir lâcher des privilèges pour rétablir la justice. Changer un peu de position à partir de toutes ces petites unités, ces fragments de ‘nous’. Pourquoi ne pas imaginer une sorte de « G1000 associatif » pour en revenir à un éloge de la complexité ?, lance-t-il, songeur.

Farah Ismaïli (FESEFA) - Pierre Verberen (CPAS Bruxelles-Ville)

L’associatif de demain : militantisme subsidié ou engagement non salarié ?

Quelles transformations sont nécessaires dans l’associatif ? Est-ce une question de taille ? De forme ? de rapports à renouveler entre associatif et politiques publiques ? … On a posé ces questions à Pierre Verbeeren, directeur du CPAS de Bruxelles-Ville et à Farah Ismaïli, directrice de la Fesefa et membre du Collectif21. S’ils sont d’accord sur le contexte de départ – l’associatif serait malmené, voire bel et bien broyé par une logique de marché et de concurrences – les divergences de point de vue s’accumulent quand il s’agit de penser un associatif renouvelé. Pour l’ancien directeur de Médecins du Monde, « il faut oser faire craquer les os comme en ostéopathie pour répondre à la question, quitte à faire un peu mal » : pas d’autre solution, selon lui, « il faut sortir du salariat » afin de retrouver une forme de radicalité que l’associatif aurait perdue. Pour Farah Ismaïli, au contraire, l’associatif subsidié doit « militer à tous les niveaux, dans toutes les fonctions ». Pour rester garant de la pluralité des débats, de l’émancipation de chacun.e. De part et d’autre, un fil relie cependant leurs propos : requestionner le sens de l’action sociale, au risque de résister, sans plus savoir pourquoi.

Regards croisés : Farah Ismaïli : « l’associatif, devenu un acteur économique comme un autre » – Pierre Verberen : « Une logique associative globalement colonisatrice »

BIS : Qu’est-ce qui manque à l’associatif pour opérer une transformation profonde de la société ?
Pierre Verberen : Je pense qu’on arrive effectivement à la fin d’un modèle. La fonction associative de recréer du lien social dans la collectivité, on le constate, n’est pas suffisante. Les inégalités se creusent de manière très significative. La puissance publique et les structures associatives n’arrivent pas à endiguer ce mécanisme-là, voire y contribuent parfois. L’idée n’est pas de pointer les carences de l’associatif, mais force est de constater qu’aujourd’hui, cela ne fonctionne pas. Et ce, malgré des financements et un associatif en croissance depuis les années 1990 -2000.

BIS : Pourtant, sur le terrain, les travailleurs continuent à s’épuiser, à chercher des financements pour répondre aux besoins…
Pierre Verberen : Sur le terrain, les subsides structurels n’augmentent pas suffisamment que pour tenir compte du coût de la vie, de l’indexation des loyers, des salaires, des frais de fonctionnement. Il y a effectivement un décrochage entre la croissance du secteur associatif et la croissance des subsides (moins forte), mais il n’y a pas de moins en moins de subsides publics. Que du contraire : si on prend le secteur du sans-abrisme, on est passé de 36 millions à 70 millions, on a donc doublé en 5 ans.

Farah Ismaïli : Ce qui m’interroge, c’est qu’on part du postulat qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. En tant que fédération, je défends les intérêts des associations, je mets plutôt en évidence les enjeux auxquels elles sont confrontées : le manque de subventionnement structurel par exemple. Je fais le constat qu’il y a une série de difficultés qui ne permettent pas à l’associatif de bien se développer et de bien mener son action et ses missions. J’ai donc envie de retourner la question : avant de changer les choses, penchons-nous sur ce qui a fait que l’associatif n’aille pas bien ? Ce qui vient peut-être de l’intérieur de l’associatif, mais aussi de l’extérieur.

BIS : C’est ce que nous avons fait dans les pages précédentes de ce dossier (lire portraits). Nous voulions ici aller un pas plus loin sur les transformations à envisager. Mais revenons d’abord sur les constats. Quels sont-ils, selon vous ?
Farah Ismaïli : On ne pense plus l’associatif différemment. On efface de plus en plus cette frontière qui démarquait auparavant le marchand du non marchand . Elle pousse les associations à s’identifier aux entreprises, ce que nous sommes d’ailleurs au regard de la réglementation européenne qui nous renvoie : « vous êtes dans un espace où doivent se jouer les lois de la concurrence ». Nous sommes devenus un acteur économique classique qui doit mettre en œuvre des activités pour pouvoir assurer sa survie et participer à la société marchande.

Pierre Verberen :
Une logique de concurrence qui est en totale contradiction avec l’ADN des associations ! Soit on décide que la logique est une logique de guerre, soit on décide d’être dans une logique de coopération… Il y a un immense enjeu de changer la logique !

Rachel Gourdin (AQUARELLE)

Aquarelle : ossature fine et réactive, adossée à un colosse

En contre-bas de l’hôpital public Saint-Pierre et de la Place du Jeu de Balle, une petite rue pavée des Marolles accueille les locaux d’Aquarelle. A peine la porte d’entrée refermée, les bruits et regards sont laissés sur le trottoir. Des films dépolis placés sur quasi toute la surface des fenêtres de façade transforment le dehors en un doux théâtre d’ombres, ponctué de quelques bribes de conversation étouffés. Au-dedans, une lumière feutrée éclaire le bureau, les quelques chaises, les tapis et coussins étalés au sol. Une invitation à se poser, s’apaiser. « Parce qu’on accompagne des femmes enceintes, dans une grande vulnérabilité, c’est essentiel de les recevoir dans un lieu sécurisant pour diminuer leur stress et développer un sentiment de confiance en leurs compétences, valoriser l’attachement à leur bébé », explique Rachel Gourdin, sage-femme à Aquarelle.

La mission de l’asbl est de leur proposer un accompagnement médico-social. Elles peuvent provenir des 19 communes bruxelloises, « on va là où elles vont,», explique Rachel, « la seule condition étant qu’elles soient suivies à l’hôpital Saint-Pierre ». C’est une spécificité de l’asbl : bien qu’indépendante, l’initiative est rattachée à la structure hospitalière. Avec quelles répercussions sur le projet ? De quelle manière ce lien renforce, ou au contraire, entrave le déploiement de leurs activités ? Quelles autres formes de soutien et de partenariat peut développer un projet de petite taille pour remplir au mieux ses missions sans perdre pied ?

Entretien avec Rachel Gourdin, Sage-femme, par Stéphanie Devlésaver

En urgence, une jeune femme arrive en salle d’accouchement à l’hôpital Saint-Pierre. Elle est arrivée en Belgique trois jours auparavant, apprennent les infirmières. Elle vient tout droit du Centre Fedasil du Petit-Château. « II lui faut des vêtements et du matériel pour son bébé, elle n’a rien ! », constate l’hôpital. Pendant que la sage-femme prend en charge le bébé, la maman est emmenée à la rue de l’Hectolitre pour trouver de quoi s’habiller. Au « Vestiaire », l’équipe prépare un colis pour le bébé qui sera déposé dans la chambre d’hôpital. C’est un des exemples de démarrage du travail d’Aquarelle, ce trait d’union entre la grossesse de ces femmes issues de l’immigration et les autres dimensions de leur vie : introduire une demande d’Aide Médicale Urgente (AMU), recherche d’un logement – « On leur trouve parfois une place dans un Centre d’accueil d’urgence » -, d’autre fois, elles ont besoin d’une écoute, d’un lien physique… Dans une situation d’extrême vulnérabilité, ces mamans ou futures mamans accumulent les manques : en plus d’être dans une grande précarité financière, elles sont très souvent isolées, loin de leur culture et de leur langue, parfois à la rue. Elles sont sans papier, sans sécurité sociale, sans mutuelles. En 2022, grâce à leur projet, ce sont 480 femmes qui ont bénéficié d’un suivi pré et/ou postnatal.

Antoine Collard (GREENPEACE)

Code Rouge : faire plus que résister climatiquement ?

« #PeopleNotFlights: Code Rouge contre le secteur de l’aviation ». Tout au long du mois de novembre 2023, voilà le type de message qui tombait dans les boites mail des abonnés aux actions de la plateforme. A l’heure où ce dossier sortira, leur troisième action de désobéissance civile de masse aura eu lieu dans l’un des aéroports du pays. Parce qu’« il est grand temps d’opérer des changements radicaux en faveur des personnes et du climat! », clame Code Rouge. Actuellement, il compte 27 organisations, issues de l’environnement, du social, de milieux activistes… « C’est un mouvement qui a pour ambition de rester une structure ouverte », explique Antoine Collard, attaché de presse et porte-parole pour Greenpeace, l’une des organisations à l’origine du projet. Et ajoute, « lutter pour défendre l’environnement sans intégrer les autres luttes n’a pas de sens » !

Ils.elles sont de plus en plus nombreux à rejoindre l’idée. Mais comment construire du commun à partir de grosses structures à tonalité environnementale et d’autres, plus petites et ciblées sur d’autres luttes ? « Faire partie d’un mouvement, c’est toujours faire un pas en retrait par rapport à sa propre visibilité » alors qui est légitime pour faire quoi ? Comment peser dans le débat public sans lisser son discours, sans perdre son identité ? Toutes ces questions qui peuvent sembler, au premier abord, anecdotiques, sont souvent celles qui comptent pour rassembler les énergies, ou au contraire, les voir s’évaporer. Focus sur Code Rouge.

Entretien avec Antoine Collard, porte-parole Greenpeace, par Stéphanie Devlésaver

Janvier 2023. A l’Ouest de l’Allemagne, entre Cologne et Dusseldorf, une manifestation de plus de 15.000 personnes a lieu contre l’expulsion du village de Lützerath . Il est en cours de destruction en raison du projet d’extension de la mine de lignite à ciel ouvert de Garzweiler3. Parmi les manifestants, Ende Gelände, en français « jusqu’ici et pas plus loin » : mouvement social allemand de désobéissance civile visant à alerter sur les actions qui favorisent le changement climatique, notamment l’extraction du charbon. Il bloque des mines de charbon chaque année sur le territoire allemand. « Il y avait une envie de s’inspirer de cette action de désobéissance civile de masse », raconte Antoine Collard. « Les gens se sont mis autour de la table pour en discuter et créer une plateforme de manière plus structurée, avec un nom, un site internet, des outils de communication. Et la mise en place d’une première action en octobre 2022 ». Officiellement, on parle de mouvement citoyen, mais à l’origine, c’est issu, en grande partie, d’organisations – internationales, installées, avec du budget, des salariés, des locaux, une expertise pour développer une stratégie de communication – telles que Greenpeace. « Mettre nos moyens, qu’ils soient logistiques, financiers, de communication, à disposition de structures plus petites, plus proches du terrain, fait partie de nos envies », poursuit le porte-parole. « Ces collectifs citoyens connaissent mieux les combats plus locaux, comme par exemple, la défense de petits espaces naturels menacés par des projets immobiliers. On va venir les appuyer dans leur travail : on va plus facilement écrire un communiqué de presse, trouver un porte-parole, obtenir une réunion politique, etc. ». Et d’ajouter : « on va pouvoir apporter des moyens qui vont créer de l’empowerment d’organisation, utile à la société. C’est clairement une forme de mutualisation de partage des ressources ». 

Rue Mercelis 27 (2e ét.)
1050 Bruxelles (Belgique)
Tel. +32.2.511.89.59
info@cbcs.irisnet.be

Inscrivez vous à notre Newsletter

Soyez averti des nouveaux articles