Publics marginalisés : comprendre, soutenir, agir
Prostitution & accès aux droits


Début mai, la Fédération des Services Sociaux présentait les résultats de trois années de recherche-action [1] menée avec d’autres associations sur la prostitution et l’accès aux droits. Pourquoi se pencher sur cette question ? « Ceci n’est pas uniquement une recherche sur la prostitution », précisait d’emblée Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la FdSS, mais porte plus globalement « sur les mécanismes d’accentuation de la précarité ». Une manière de proclamer leur désaccord face à des politiques publiques qui renforcent trop souvent les mécanismes d’exclusion plutôt que de les réduire.  Et se mettre à l’écoute du travail social et de la parole des premiers concernés pour transformer la situation. [2]

Retour sur la matinée de présentation des résultats de la recherche-action [3] menée par la Fédération des Services Sociaux (FdSS) avec Alias, Espace P…, Entre 2 Wallonie, Icar Wallonie, UTSOPI et Médecins du Monde. Par Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl, mai 2022


Prostitution : ni célébrée ni condamnée

Les personnes qui exercent le travail du sexe sont confrontées à des violences multiples, qu’elles soient psychologiques et physiques, institutionnelles et économiques. Le recours aux aides, aux soins et aux services est compliqué ; l’accueil et l’accompagnement reçus peuvent être inadaptés dans un contexte de morcellement des aides sociales. Mais le plus gros problème reste le stigmate ! La personne est avant tout abordée par le prisme de sa profession et des préjugés qui s’y « collent ». Pour combattre ce stigmate, elles doivent être des « mères irréprochables », doivent taire leurs revenus d’activité au risque de ne pouvoir prétendre à un Revenu d’Intégration Social (RIS) ; n’ont pas d’office droit à une Aide Médicale Urgente (AMU) alors que c’est un point central en termes de prévention (notamment pour les traitements VIH), etc.

« Dis-moi un peu une pute qui a de l’argent de côté et qui peut voir son avenir. Cite-m’en une, je ne demande pas plus. Non ? Voilà. »

Entretien G., 27/05/21

Du côté des chercheuses, Charlotte Maisin et Lotte Damhuis, confrontées à ce fort ancrage normatif, le choix a été fait de prendre pour objet la justice sociale. « La prostitution, dans le cadre de notre recherche, n’est ni célébrée ni condamnée », résument-elles. Elles proposent tout simplement de suspendre le débat philosophique et politique, le temps de la recherche. Pour ensuite pouvoir dénoncer les mécanismes d’accentuation de la précarité et soutenir les professionnels, à l’image du travail de cette journée.

Ce travail en étapes ne serait pas éloigné de celui des services sociaux proches du secteur de la prostitution. Les travailleurs sociaux endossent avant tout un rôle d’écoute de la parole des personnes prostituées et d’observation des nombreux obstacles à l’accès aux droits. Pour, dans un second temps, accompagner vers l’ouverture de certains droits, voire pour dénoncer et faire plaidoyer ! C’est là toute la délicate posture du travailleur social : l’accompagnement est indissociable d’une politisation du travail social. [4]

L’exemple tout récent de travail de décriminalisation de la prostitution mené par Utsopi, collectif de travailleuses et travailleurs du sexe en Belgique, autogéré et auto-organisé, illustre parfaitement cette nécessité de rester ancré dans la lutte des droits sociaux pour faire avancer concrètement les choses.

« Les associations sont comme des baromètres qui éclairent les situations des personnes les plus vulnérables »

Dans « Prostitution & accès aux droits »

Le travail social : un processus de réintégration des publics les plus marginalisés

Mais revenons sur cette posture du travail social. A partir de ce terrain spécifique des associations proches du secteur de la prostitution, les chercheuses notent combien le travail du sexe est abordé à partir de sa normalité et non à partir de son étrangeté. « L’activité n’est ni tue ni nécessairement discutée », soulignent les chercheuses. Et ce, pour permettre aux personnes de parler ou non de leur travail, de se plaindre ou non des clients, d’évoquer ou pas les stratégies mises en place pour se défendre ou encore des violences subies à différentes échelles. Pour se raconter aussi tout simplement sur des difficultés relationnelles rencontrées ou sur tout autre aspect de la vie quotidienne. Permettre une forme de « parler vrai » qui crée du lien, qui rend la personne visible. Parfois même, sans qu’il y ait une demande : « Nous on l’a déjà rencontrée en rue où on lui parle. Et tout en discutant, parfois, elle se retourne. Et donc, on a fini par parler à son dos en fait, parce qu’elle n’est pas du tout réceptive ». A d’autres moments, « Parfois ne rien faire, c’est nécessaire, en fait construire un espace sécurisé où ils peuvent se poser, parler ou ne pas parler, sans se justifier, sans être jugé ».

« la chose à laquelle on touche le moins, c’est la prostitution en tant que telle »

Témoignage d’un intervenant social dans un service généraliste, spécialisé public bas seuil

L’observation à partir de ce terrain d’analyse souligne plus largement combien le travail social est pétri d’enjeux éthiques, de savoirs et d’équilibres à trouver : connaissances sur le réseau interdisciplinaire de professionnels existants et sur les savoirs réglementaires et législatifs relatifs à l’accès aux droits, juste distance et lien de proximité à tisser avec les personnes, nécessité d’une « réflexivité permanente sur la question des limites, de l’intime, d’une forme de régulation de la relation ».

Travailler en rue est synonyme d’un « aller-vers » qui remet en cause des frontières qui entravent les relations entre la société et sa marge, voire à les effacer ».

P. 21, dans Prostitution & accès aux droits #12

A partir du travail de rue, l’intervenant social doit aussi se familiariser avec l’écosystème local – Seraing n’a rien à voir avec Bruxelles ou encore Charleroi – pour « éclaircir le jeu et y prendre une place ». L’idée est de construire autour des personnes fortement stigmatisées et discriminées un « réseau safe » dans lequel elles peuvent circuler librement. Par exemple, avec le projet PrEP ou traitement préventif au VIH, le projet consiste à créer une toile personnalisée entre acteurs du social privé et public et de la santé pour faciliter l’accès au traitement et inscrire la personne dans un réseau d’aide sécurisé. (p. 50, Cahier#11). « On contourne les difficultés d’accès aux soins en créant un circuit hors circuit pour avoir accès à la PrEP« , explique Alias, association qui accompagne les hommes et les personnes trans qui pratiquent la prostitution. Et par-delà, permettre le déploiement d’une politique de prévention, médicale et sociale.

Ce travail implique de parvenir à traduire les demandes des institutions vers les publics et celles des publics vers les institutions pour tenter d’élaborer un accord à partir duquel un accès aux droits pourra se penser. Telle une « mission diplomatique » (p.38, Cahier#11), l’intervenant social va vers la personne et tente de négocier avec elle, sur le site même de l’action, le problème à traiter et la réponse à apporter.

Objectif : poser un pied dans l’entrebaillement de la porte pour restaurer une « citoyenneté sociale » et politiser leurs situations de sous-protection sociale.

p.50, dans « Prostitution & accès aux droits » #11

Travail social : une question de posture !


L’approche du travailleur social serait donc à la fois pragmatique, dans une perspective de réduction des risques et de défense des droits ; mais accompagnée d’une dimension politique forte : grâce à son regard sur la question prostitutionnelle, au plus près de la complexité des réalités de terrain, il peut « montrer là où nos systèmes d’aides échouent à être de véritables leviers de lutte contre la pauvreté, voire contre les inégalités ». Dans le cas de la prostitution, elle « n’est plus racontée comme étant, en tant que telle, la cause des violences et des précarités , mais comme l’expression d’une situation générale dégradée« . (p. 57, Cahier #12)

La récente réforme du code pénal sexuel belge – adoptée le 18 mars 2022 – et la mobilisation de plusieurs associations autour de celle-ci met en lumière cette dimension politique du travail social. (lire plus ici!) Le défi, résument les chercheuses, est de construire un discours suffisamment commun à partir des divergences des acteurs. Et ce, à partir des savoirs produits au plus près des réalités vécues par les personnes concernées. (pp. 16-25, Cahier #12)


À lire également

Restez en
contact avec
nous

Si vous rencontrez des difficultés à nous joindre par téléphone, n’hésitez pas à nous laisser un message via ce formulaire

Je souhaites contacter directement :

Faites une recherche sur le site

Inscrivez vous à notre Newsletter

Soyez averti des nouveaux articles