Le nouveau projet de loi « anti squat » est-il menaçant pour les droits fondamentaux ?

Opinion de la Maison d’accueil l’Ilôt asbl, publiée le 7 novembre 2017.

Les faits

Pour ne pas avoir à dormir en rue, des personnes qui se retrouvent exclues du logement n’ont parfois pas d’autre solution que de trouver refuge dans un bâtiment vide. Le 5 octobre dernier, la Chambre a approuvé une loi inquiétante qui rend pénalement répréhensible l’occupation d’un immeuble sans l’accord du propriétaire. Jusqu’à présent, le squat est déjà considéré comme illégal et la loi prévoit que ce type d’affaires soit traité devant les instances civiles. La justice de paix peut ainsi être saisie en cas de différend entre propriétaires et occupants. Un bourgmestre peut lui aussi intervenir s’il considère que l’état du bâtiment occupé fait encourir des risques à ses occupants. Ces différentes mesures permettent un certain équilibre entre les droits d’un propriétaire et ceux d’un occupant. La nouvelle loi, qui entrera en vigueur courant 2018 si elle n’est pas combattue, rompt cet équilibre et risque d’encore plus fragiliser les personnes sans abri. Les personnes qui occupent un bâtiment sans y avoir été autorisées risquent d’être expulsées plus rapidement mais aussi, ce qui est nouveau et affligeant, des poursuites pénales !

Pourquoi L’ILOT dénonce ce projet de loi ?

Un climat hostile aux personnes les plus pauvres est de plus en plus palpable en Belgique et en Europe plus largement. Ces dernières années, nous avons vu apparaître des règlements anti mendicité dans certaines villes et même des dispositifs d’aménagements urbains ouvertement « anti SDF » dans des lieux publics et stations de métro. Voilà à présent qu’une personne que la société condamne à trouver des moyens de survie pourrait être directement condamnée à payer de lourdes amendes, voire même être emprisonnée. L’ILOT entend dénoncer les effets néfastes que risque de produire cette loi. Pour cette association qui accompagne chaque année plus de mille personnes sans abri à Bruxelles et en Wallonie, les changements que cette nouvelle législation introduit sont loin d’être anodins. Au contraire, ils participent directement à une montée inquiétante dans notre société de la criminalisation de la grande pauvreté. Alors que de nombreuses politiques menées par les différents niveaux de pouvoir (1) stigmatisent toujours plus certaines catégories de personnes et les condamnent à vivre en dessous du seuil de pauvreté, ce projet de loi va encore plus loin en criminalisant directement la pauvreté.

Plutôt que d’aider ses trois régions à résorber leur énorme retard en matière de production de logements abordables ou de les convaincre d’avancer dans des mesures d’encadrement des loyers sur le marché privé, le fédéral agit là où il n’y a pas lieu d’agir. Pour L’ILOT, il ne faut pas se tromper de cible. Ce projet de loi envoie un très mauvais signal à tou.te.s les citoyen.ne.s. et fait comme si c’était aux personnes pauvres elles-mêmes, et non aux politiques, de se remettre en question, tout en occultant complètement les raisons systémiques qui placent un nombre croissant de personnes dans des conditions de (sur)vie extrêmement précaires. Avant de condamner un « squatteur », n’est-il pas bon de se demander ce qui l’a poussé à se réfugier dans un bâtiment vide ou quelles solutions alternatives se présentaient à lui pour éviter la violence que représente la vie en rue ? Veut-on vraiment d’une société qui cache et enferme ses pauvres plutôt que d’une société inclusive capable d’apporter des réponses dignes aux souffrances et difficultés qu’elle a elle-même contribué à créer ?

Des questions de fond et un changement de cap dans les politiques développées

Pour L’ILOT, il est temps d’oser poser ouvertement à nos femmes et hommes politiques les questions qui dérangent et qui méritent à la fois des réponses claires et des engagements forts. Ainsi, comment expliquer qu’au 21ième siècle, dans un pays qui n’a pas été secoué par une guerre ou une catastrophe naturelle depuis de longues années, il y ait encore autant de personnes sans abri ? Ou comment expliquer qu’en Région Bruxelloise, ces dix dernières années, le parc de logement social habitable n’ait pas augmenté (2) ? Mais aussi, comment mettre à profit les très nombreux bâtiments vides présents dans nos villes pour développer de solutions logements pour les personnes sans abri ? Nous attendons d’autres types de réponses que celle de faire porter, par la stigmatisation, la responsabilité du manque de logements abordables aux personnes les plus vulnérables. Si la grandeur d’une société devait se mesurer au traitement qu’elle réserve à ses citoyens et citoyennes les plus fragiles, les habitants de notre pays n’auraient vraiment pas de quoi être fiers de nos politiques.

Il est grand temps que les politiques prennent leurs responsabilités. Le débat provoqué par ce projet de loi n’existerait pas si chacun et chacune acceptaient de jouer son rôle. Aujourd’hui, force est de constater que trop de personnes se retrouvent face à un dilemme qui ne devrait pas en être un : choisir entre dormir en rue ou s’abriter dans un bâtiment vide (3). L’ILOT rappelle que notre Constitution proclame le droit au logement pour toutes et tous. Malheureusement, L’ILOT est très bien placée, aux côtés des autres acteurs du secteur de l’aide aux personnes sans abri et d’acteurs de secteurs connexes (santé mentale, aide à la jeunesse, aide aux justiciables, etc.) pour témoigner de l’incapacité de notre pays à garantir ce droit. Le nombre de personnes sans abri à Bruxelles ne cesse d’augmenter (4) et les services qui les accueillent et les accompagnent sont tous saturés. Au-delà d’un hébergement d’urgence, notre société doit se donner les moyens de permettre à ces personnes de se loger dignement et durablement. L’ILOT est convaincue qu’il est possible, dans un délai tout à fait raisonnable, d’éradiquer le sans-abrisme en Belgique. Plutôt que d’une simple politique de gestion des effets du sans-abrisme, la situation qui s’aggrave chaque année, réclame une politique ambitieuse – en termes de vision mais aussi de moyens – de lutte contre le sans-abrisme. De nombreux acteurs associatifs ont démontré la qualité de leur travail en matière d’aide aux personnes, mais ils restent impuissants face à la pénurie de logements abordables et sont sous-financés pour assurer correctement les missions qui leur sont confiées. Ils accompagnent au quotidien des personnes vulnérables pour leur éviter de perdre leur logement et, lorsqu’elles sont sans-abri, les aident à sortir de l’exclusion au logement. Outre l’augmentation des moyens de ces acteurs, la réponse politique devrait également passer par des politiques bien plus ambitieuses en matière de prévention au sans-abrisme mais aussi de construction de portes de sortie au sans-abrisme via le logement.

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(1) Nous pensons aux politiques en matière d’accueil des personnes migrantes, ainsi qu’à certaines politiques d’activation en matière d’emploi ou d’aide sociale qui ont conduit de nombreuses personnes vulnérables à être injustement arrêtées, sanctionnés, voire exclues de certains mécanismes d’aide.

(2) La production de nouveaux logements sociaux est, de façon tout à fait insuffisante, simplement venue compenser le nombre de logements sociaux devenus inhabitables car trop vétustes. Dans le même temps la population n’a fait elle qu’augmenter avec une part toujours plus importante de personnes avec des bas revenus. Voir : http://www.dhnet.be/regions/bruxelles/420-ans-d-attente-pour-un-logement-social-a-bruxelles-le-constat-alarmant-d-une-elue-du-ptb-588bc725cd70e747fb5c8185

(3) Le nombre de logements vides en Région Bruxelloise est estimé entre 15.000 et 30.000. Malgré les amendes et les taxes mises en place aux niveaux régional et communal, à l’heure actuelle très peu de propriétaires sont réellement inquiétés.

(4) La dernière étude publiée par La Strada, le centre d’appui au secteur d’aide aux sans-abri, a permis de recenser la nuit du 6 mars 2017 à Bruxelles 4094 personnes en situation de sans-abrisme, de mal-logement et en logement inadéquat. Le nombre total de ces personnes a quasiment doublé en 8 ans. Source : https://www.lastrada.brussels/portail/fr/

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