La prison. Encore et toujours ?

Dossier au sommaire de La dernière Revue nouvelle, Numéro 6/2015:

-Les prisons craquent de toutes leurs jointures
-Une loi pénitentiaire en Belgique, pour quoi faire ?
-Haren, le futur village pénitentiaire
-Sortir de prison : un parcours semé d’embuches…
-Travail en prison, qu’en pensent les détenus ?
-Les maisons de détention vont-elles supplanter les prisons du XIXe siècle ?

« La prison. Encore et toujours »

Introduction au dossier par John Pitseys et Christophe Mincke.

C’est peu dire que la prison défraie la chronique à intervalles réguliers. Accompagnant l’État moderne depuis sa création, cette vieille institution s’est fondue dans l’État moderne pendant des décennies, avant d’être violemment remise en question dans le débat intellectuel à partir des années 1970. Les années 1990 l’ont quant à elles vue revenir à l’avant-scène politique. Évasions, libérations conditionnelles polémiques, surpopulation, condamnations de la Belgique par diverses instances nationales, grèves, trafics, la question carcérale ne cesse de revenir hanter notre société.

Pourtant, la prison n’est pas qu’un champ de mines. Elle est aussi au centre de projets ambitieux et d’enjeux politiques importants. Privilégiant les partenariats public/privé, les Masterplans et les cycles de rénovations/extensions successifs ont transformé la prison en secteur d’investissement à part entière : pour ne prendre que cet exemple, la location d’une prison néerlandaise à Tilburg a montré que le marché pénitentiaire pouvait être inventif et dynamique. En outre, le législateur a tenté à plusieurs reprises de réformer l’institution carcérale, tentant ainsi de réduire le recours à l’incarcération, de repenser les modalités de sortie de prison et d’adopter enfin une « loi de principes » traçant les perspectives de l’emprisonnement de demain. Votée en 2005, cette « loi de principes », aussi appelée « loi Dupont » entend en particulier organiser le statut du détenu en prison, en ce qui concerne ses obligations, mais surtout ses droits : en dehors du préjudice intrinsèque dû à la privation de liberté, le détenu est censé jouir d’une détention qui ressemble le plus possible à la vie en société.

C’est l’anniversaire de ce dernier texte — qui a eu dix ans cette année — qui nous a fourni le prétexte de ce dossier. Qu’en est-il des plaies et des ambitions du monde carcéral ? Que devient aujourd’hui cette institution dont il semble que notre démocratie ne peut ni s’en passer ni la légitimer de manière satisfaisante ?

Notre dossier s’ouvre avec une contribution d’Eric Maes. Il ne rappelle pas seulement que les prisons belges sont pleines à craquer. Il montre que la surpopulation carcérale résulte de choix politiques et législatifs davantage, par exemple, que d’une hausse de la criminalité. À cet égard, il met également en évidence l’influence quasiment nulle du développement des peines alternatives sur la surpopulation carcérale, et en appelle donc à une approche plus radicale du phénomène.

Ensuite Christophe Mincke décrit et interroge le projet carcéral contenu dans la « loi de principes ». La première loi pénitentiaire de l’histoire de la Belgique se fonde sur le rêve d’une normalisation de la prison afin d’en limiter les effets négatifs. Toutefois, cette loi, vieille de dix ans déjà, pose aujourd’hui de sérieuses questions. D’une part, elle n’est pas encore entièrement entrée en vigueur et l’on peut se demander si elle le sera un jour. D’autre part, ses fondements mêmes apparaissent ambivalents : de quoi parle-t-on exactement quand on parle de normalisation de la prison ? Une incarcération en forme de projet positif, mise en œuvre dans un établissement ouvert et permettant la participation des détenus, est-elle réaliste ?

Guillermo Kozlowski et David Scheer analysent le projet de méga-prison à Haren, en Région de Bruxelles-Capitale. Le cahier des charges qui a été dressé en vue de la construction de ce nouveau bâtiment invoque à maintes reprises l’autonomie du détenu et sa responsabilisation. Mais qu’est-ce donc que cette autonomie ? Si la notion fut longtemps synonyme d’une opposition aux institutions totales, elle est devenue aujourd’hui un fourre-tout pouvant justifier tout et son contraire. Pour Guillermo Kozlowski, elle conduit avant tout à transférer vers le détenu l’entière responsabilité de sa réinsertion et du bon déroulement de sa détention. Il s’agit dès lors d’interroger en conséquence l’ambition réelle des réformes carcérales en cours.

Blanche Amblart, Manuel Lambert et Damien Scalia se penchent sur le travail pénitentiaire. Absence de contrat, lieux de prestation souvent insalubres, rémunérations dérisoires et régulation arbitraire de la pénurie de postes tracent les contours d’une pratique qui interroge à de multiples niveaux le respect par l’État de son propre droit. Si la « loi de principes » cesse de rendre le travail obligatoire pour tous les détenus, elle les exclut toutefois du bénéfice de la sécurité sociale. La question du travail semble à cet égard une parfaite illustration du régime d’exception qui règne dans le monde carcéral.

Après trois contributions s’interrogeant sur le projet poursuivi à l’intérieur des murs, Marie-Aude Beernaert traite de la sortie de prison. Car s’il est un droit qui a fortement évolué au cours des dernières décennies, c’est bien celui qui régit les possibilités et les modalités de sortie anticipée. La sortie de prison est écartelée entre régulation exécutive et régulation judiciaire. Marie-Aude Beernaert montre les difficultés que cela suscite pour les droits du détenu. Elle déconstruit également le vieux fantasme des peines de sureté. La volonté de certains de mettre en place des « peines incompressibles » pose fondamentalement la question de la nature de la peine et du jugement qui la prononce, ainsi que celle de l’acceptation sociale d’une modernisation des pratiques d’incarcération.

Hervé Louveaux présente « De Huizen – Les Maisons ». Souhaitant prendre l’institution carcérale à contrepied, ce projet propose de disséminer sur le territoire des établissements de taille très modestes, rendant aux humains leur place et favorisant la mise en place de projets carcéraux sur mesure, mis en œuvre au cœur de la société. L’espoir s’y dessine de rompre avec une prison déshumanisante et standardisante.

Enfin, en clôture du dossier, Chloé Branders et Anne Walravens partagent leur expérience de la prison. Pendant vingt-quatre heures, elles ont été écrouées pour tester les installations de prison « modèle » de Leuze-en-Hainaut, avant que celui-ci n’accueille de véritables détenus. Dans la peau d’un prisonnier, quelles émotions traversent l’individu lorsqu’il passe du statut d’homme libre à celui de détenu ? Comment faire face aux injonctions, à l’isolement, à l’inconnu ? Enfin, quels sont les contours de cette prison moderne, prétendant « construire le futur du détenu » à travers l’administration informatique de ses activités ? Les auteures proposent une plongée sensible dans un univers physique étranger et inhospitalier…, même dans une « prison cinq étoiles ».

Au-delà des marronniers médiatiques — « 12 m2 et une télévision gratuite pour ce violeur d’enfants ! » —, mais aussi des indignations légitimes sur le seul sujet de la surpopulation des prisons, ce dossier s’interroge tant sur l’économie interne de l’institution carcérale que sur les significations ambivalentes de l’idéal d’autonomie censé gouverner sa réforme. Ce faisant, il se penche également sur la vie de tous les jours des détenus, qu’il s’agisse de leurs mouvements, de leurs droits au quotidien ou de leur vie en cellule.

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