La place Fontainas comme espace frontière (…)

Numéro 139, de Brussels Studies, la revue scientifique électronique pour les recherches sur Bruxelles, par Alexandre Donnen

La place Fontainas comme espace frontière. La production de la ville au regard de la sexualité, du genre, de l’ethnicité et de la classe sociale

Bruxelles est souvent présentée comme une ville-mosaïque, tant la diversité de ses quartiers peut être considérable, même à courte distance. Mais qui dit mosaïque dit aussi une multitude d’interfaces qui peuvent être autant de points de tension. L’un d’entre eux est la place Fontainas, un vaste espace disgracieux situé dans le centre de Bruxelles, appelé à être réaménagé dans le cadre de la piétonnisation des boulevards centraux. Cette place fait la jonction des boulevards Anspach et Lemonnier, reliant les quartiers de la Bourse et de la Grand-Place à celui de la gare du Midi.

Sise à la lisière du quartier dit « gay » et du quartier Anneessens, la place Fontainas a été le lieu de multiples actes présumés homophobes, contribuant à la catégoriser, notamment médiatiquement, comme un espace dangereux, particulièrement pour les populations homosexuelles. Cette catégorisation, pour ne pas dire stigmatisation, porte sur un espace largement associé, dans l’imaginaire collectif, aux populations musulmanes, consolidant une imbrication entre cet espace, une population spécifique et certaines attitudes socialement dénoncées comme l’homophobie.

Mais cette image est peut-être trop simpliste pour être fidèle à une réalité complexe… C’est ce qui a poussé le sociologue Alexandre Donnen, membre de la Structure de recherche interdisciplinaire sur le genre, l’égalité et la sexualité (Striges) et de l’Atelier Genre(s) et Sexualité(s) (AGS) de l’Université libre de Bruxelles, à creuser la question dans le numéro 139 de Brussels Studies. À partir d’un travail d’observation directe et d’entretiens sur et autour de la place Fontainas, le chercheur appréhende cet espace à partir de la notion de frontière plus que de quartier. À travers une analyse intersectionnelle, n’envisageant pas isolément les dimensions de fragmentation, il rend soigneusement compte de l’interrelation des mécanismes socio-urbains qui participent à établir des ruptures en termes de sexualité, de classe sociale et d’ethnicité en ce lieu précis.

La lecture de cet espace par le chercheur montre que la place est bien la limite d’un espace où l’hétérosexualité n’est plus la norme, d’un quartier essentiel à la sociabilité et à la construction identitaire gay. Certaines pratiques comme la drague homosexuelle visible ou la présentation transgressive de soi se déploient plus librement dans ce quartier, contrairement à ce qui s’observe dans d’autres espaces où l’hétérosexualité est la norme et donc la possibilité de transgresser les normes de genre et de sexualité davantage associée au danger.

Mais l’étude montre aussi que la place Fontainas se confond avec une frontière d’ethnicité et de classe, séparant, d’une part, un espace occupé essentiellement, dans la rue du Marché au Charbon, par des populations occidentales et aisées et, d’autre part, un espace plus paupérisé, boulevard Lemonnier et au-delà, investi par des populations racisées. Souvent pensé hors de son environnement social, le quartier « gay » limite de fait son accès aux populations racisées qui le jouxtent (souvent représentées comme dangereuses), mais également à d’autres populations, y compris homosexuelles, comme les lesbiennes. Le quartier « gay » reste donc l’apanage des hommes gays blancs de classe moyenne et véhicule dès lors une image normative de l’homosexualité, celle des plus visibles et favorisés.

Là où la lecture du chercheur se fait originale et incisive, c’est en présentant la rue du Marché au Charbon, la place Fontainas et le boulevard Maurice Lemonnier comme des espaces continuellement dominés par l’occupation masculine, ce qui invisibilise les femmes dans chacun de ces espaces. Cette absence féminine se comprend, d’une part, en relation à la perception d’un espace risqué dans lequel le danger est associé à une différence de genre, de classe et d’ethnicité et, d’autre part, à travers la dominance de la sociabilité gay masculine dans l’espace public.

Comme quoi, pour comprendre comme fonctionne la place Fontainas, mais aussi de nombreux autres espaces bruxellois, il faut distinguer le genre et la sexualité, trop souvent pensés ensemble, tout en n’oubliant pas de prendre en compte les dimensions ethniques et socio-économiques. Cette analyse est en tout cas à garder à l’esprit lors du réaménagement, imminent, de la Place Fontainas…

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