L’internement, un circuit de non-soin ?

Le parcours de l’interné commence quasi toujours par l’annexe psychiatrique d’une prison où d’emblée l’humanité du sujet est bouleversée et la vie psychique suspendue.


« La nuit carcérale
Tombant sur les dalles
Et ce lit glacé
Aller et venir
Soleil et sourire
Sont d´l´autre côté

Ces murs, ces grillages
Ces portes et ces cages
Ces couloirs, ces clés
Cette solitude
Si dure et si rude
Qu´on peut la toucher » [1]

Résumé des épisodes précédents

Au fil des articles, les 2 auteurs – Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue, à la Clinique de la Forêt de Soignes – se sont attelés à présenter le cadre légal de l’internement, ils ont aussi abordé le problème délicat de la désignation d’un individu comme irresponsable ainsi que la description du parcours de l’interné.

Pour lire les épisodes précédents, c’est par ici !

L’annexe : une prison dans la prison

La question du placement des « fous dangereux » est, depuis toujours, préoccupante. Historiquement, selon qu’ils étaient perçus comme dangereux ou fous, ils étaient placés tantôt en prison, tantôt dans un hôpital psychiatrique. Et puis, il y a ceux qui sont fous ET dangereux. Pour eux, il a fallu réfléchir à un lieu intermédiaire entre la prison et l’asile. Face aux difficultés budgétaires rencontrées pour créer de nouveaux établissements, la question s’est posée de savoir s’il était préférable de créer une prison dans un asile ou un asile dans une prison. C’est cette deuxième solution qui a été retenue, amenant ainsi la création de la première annexe psychiatrique en 1921. Par la suite, en 1930, la première loi de défense sociale fut votée. Elle concerne les délinquants anormaux et les récidivistes.

A l’heure actuelle, les annexes psychiatriques des prisons sont au nombre de douze, réparties sur tout le territoire. En pratique, elles accueillent non seulement les internés en attente d’une place dans un établissement adapté à leur pathologie, mais également des détenus présentant des fragilités psychiques (toxicomanie, décompensation durant l’incarcération, …) ou, parfois encore, des détenus ayant commis des faits de mœurs.

Il semble que ce lieu reste imprégné d’une conception asilaire de la prison, perçue comme une solution de facilité où l’on parque les personnes « indésirables ». Comme si l’annexe était un lieu créé pour pallier à l’absence de réponse à cette question qui ne cesse de se répéter : que fait la société de ses fous-dangereux ?

Le terme « annexe » correspond parfaitement à la réalité des lieux, comme nous le confiera un psychologue d’une équipe SPS ou Service Psycho Social. A la prison de Forest [2], elle se situait au bout d’un couloir, à l’extrémité d’une aile, loin du reste du fonctionnement de la prison. Il s’agit de la dernière structure ajoutée au bâtiment. A Saint-Gilles, l’annexe a quelque chose d’inatteignable, il est presque impossible d’entrer en contact avec un professionnel, le téléphone semble sonner dans le vide. [3]

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Une fois dans l’annexe, presque rien ne nous permet de différencier cette aile de n’importe quelle autre de la prison. C’est du carcéral pur et dur. En effet, on se retrouve dans un couloir, assez large, bordé, de part et d’autre, de grandes portes métalliques. Derrière ces portes, des cellules que seule une personne en ayant fait l’expérience peut décrire :

« Déjà en cellule. Quand vous voulez vous asseoir… On a une table comme ça pour manger [4], à trois sur une table comme ça. C’est pas évident. Pour manger. Et alors des fois y a une seule chaise en cellule, même pas deux chaises. Alors ce que fait un collègue, il se met à son lit, on met la table du côté de son lit, il est juste à hauteur de la table. Il manque plus qu’une seule place. Ah c’est pas évident, hein. Débrouillez-vous,hein. L’autre mange sur son matelas, par terre, il mange ça comme ça. Comme à l’ancienne quoi, comme des clochards. » [5]

Lors de nos visites de certaines annexes, nous avons pu découvrir quelques signes de vie épars dans un milieu carcéral plutôt mortifère : des peintures que certains internés ont réalisées lors de quelque activité créative, un panneau coloré reprenant la date et la saison, … Un autre indice de cette dualité sont ces lourdes portes métalliques des cellules qui, pour mettre un peu de couleurs, ont été peintes en jaune, en vert, ou en d’autres couleurs, selon l’étage.

Dans cet univers annexe, l’interné passe entre 22 et 23 heures en cellule. Seuls instants de « liberté », l’heure quotidienne au préau et l’éventuelle participation aux quelques activités proposées. La mise en place d’activités thérapeutiques est un réel parcours du combattant (lire à ce sujet le dossier du CBCS sur les services externes en prison) : motiver la personne, obtenir les accords, prévenir les agents de section et le chef quartier, réaliser les mouvements [6], … Pour finalement, se retrouver avec un groupe réduit car l’un est au préau, l’autre chez le médecin et le troisième au parloir avec son avocat.

Globalement le rythme carcéral est structuré et répétitif. Tu te lèves, tu manges, tu te promènes, tu regardes la télé, tu fumes, tu dors, tu penses et …. Tu deviens fou !
En bref, le régime imposé aux internés n’est pas très différent de celui des détenus de droit commun. Cette situation a un impact non négligeable sur le soin apporté à ces personnes qu’on a symboliquement choisi de soigner plutôt que de punir. Quel paradoxe, non ?

Les oubliettes de la Justice !

La surpopulation carcérale des prisons belges est aujourd’hui tristement connue. Les internés, représentant 10 % de la population carcérale [7], ne sont évidemment pas épargnés par cette réalité et ses conséquences. Il semblerait même, selon le dernier rapport de l’Observatoire International des Prisons (OIP), que l’annexe psychiatrique soit le lieu le plus surpeuplé de la prison. Il y a quelques années, l’annexe psychiatrique de Forest accueillait 130 internés pour 47 cellules, allant donc jusqu’à trois personnes par cellule, toutes pathologies confondues. Les prisons sont pleines, certes, mais vides de sens.

De plus, les conditions matérielles de vie sont décrites par l’OIP comme « vétustes et totalement inadaptées » [8]. Tous les rapports vont dans le même sens : manque de soin, manque d’hygiène, présence de cafards, manque de personnel, … les annexes sont définitivement décrites comme les oubliettes de la Justice.

« Cette prison allait le rendre fou » [9]

Une des accusations majeures concernant les annexes est le manque de soin accordé aux internés : surmédication, absence de rendez-vous régulier avec le psychiatre, pas de réel travail thérapeutique, … Le constat est sans appel : la prison ne soigne pas !

Depuis 2007, des équipes multidisciplinaires ont été mises en place dans les annexes : ergothérapeute, infirmier psychiatrique, kiné, travailleur social, psychiatre, éducateur et psychologue se rassemblent sous l’étiquette « équipe soin », en charge comme son nom l’indique, de la prise en charge thérapeutique des internés. A leurs côtés, le service psychosocial ou SPS s’occupe de la partie « expertise », sa mission principale étant d’évaluer la dangerosité de la personne et le risque de récidive afin de construire le projet de vie le plus adapté aux fragilités et aux dysfonctionnements de chaque personne internée dans le souci de protéger la société. Ces deux équipes, soin et expertise (qui inclut la construction du projet « après-prison ») sont censées ne pas pouvoir communiquer entre elles.

Malgré l’apparition des équipes soin, la présence médicale reste largement insuffisante pour le nombre d’internés et n’est pas assurée 24h/24. Dans certaines annexes, le psychiatre se retrouve seul pour 45 internés, et ce, sur un emploi du temps de 22h/semaine. Or on le sait, à l’impossible nul n’est tenu. Dans ce contexte, aucune approche individualisée de la maladie , aucun travail de fond ne sont possibles. L’interné ne bénéficiera, le plus souvent, que d’un traitement pharmacologique.

Un récent contact avec un psychiatre de l’équipe soin d’une annexe nous réconforte néanmoins sur l’humanité de ces soignants. « Remettez le bonjour à mademoiselle X ! », preuve immuable des contacts humains qui se tissent malgré l’inhumanité des conditions de vie.

« Y en a des biens ! »[10]

A ces deux équipes s’ajoutent les agents pénitentiaires et le chef quartier, personnel qui est également en nombre tout à fait insuffisant et peu formé pour faire face aux différentes pathologies qu’il est amené à rencontrer. Il nous semble important de souligner que les agents qui travaillent à l’annexe le font sur base volontaire. Ils apprennent « sur le tas » et n’ont pour avantage qu’une maigre prime salariale. Enormément de choses restent à dire quant à cette fonction : le manque de formation, la double casquette « sécuritaire-sociale », le manque de moyens, … mais aussi et surtout : leur fonction au sein de ces structures ne se limite pas à de la surveillance. Gestion de l’humain, écoute, conseils, … font largement partie de leur quotidien.

Le temps suspendu …. (en attendant Godot) [11]

Les annexes ont régulièrement été décrites comme des lieux où l’on parquait les internés. On le sait, le milieu carcéral n’aide pas à la reconstruction : non seulement, il isole, mais en plus il ne propose rien.

Actuellement le séjour, et donc l’attente, peut durer jusqu’à 2 ans. Attente de quoi ? Souvent d’une place dans un Hôpital Psychiatrique Sécurisé (HPS) comme à Tournai ou dans un Etablissement de Défense Sociale (EDS) comme à Paifves où se prolonge l’attente, cette fois, d’une libération à l’essai. On constate avec regret que d’un lieu de mise en observation et d’internement provisoire, l’annexe psychiatrique s’est progressivement transformée en lieu d’internement de longue durée. Ce qui s’oppose tout à fait à l’esprit de la loi qui, elle, insistait sur le caractère provisoire de l’internement en annexe psychiatrique.

Aujourd’hui encore, l’article 11 de la loi relative à l’internement est très claire : « si au moment où l’internement est ordonné, le prévenu, l’accusé ou l’inculpé est détenu ou si le juge ordonne l’internement avec incarcération immédiate, l’internement se déroule provisoirement dans la section psychiatrique d’une prison ». Malheureusement, rien dans la loi ne précise ce « provisoirement ».

Les droits de l’homme

On l’a vu, en Belgique, un constat déplorable s’impose : les internés restent des années dans les annexes psychiatriques surpeuplées des prisons dans l’attente d’un transfert vers un établissement de défense sociale ou vers un autre établissement approprié. Suite à ce constat, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné à maintes reprises l’Etat belge.

A l’origine de l’une de ces condamnations, un homme, André Claes, né en 1952, interné pour la première fois en avril 1978 pour des faits de viols répétés sur ses sœurs mineures. Cet homme, multirécidiviste, a réalisé de nombreux aller-retours dans les annexes psychiatriques sans qu’aucune prise en charge thérapeutique de fond n’ait pu être mise en place. En 2007, résigné et ne percevant plus aucune perspective autre qu’être parqué dans un lieu de « non-soin », André Claes cite l’Etat belge en référé́ afin qu’il soit ordonné́, sous peine d’astreintes, aux autorités de trouver une place dans un établissement adapté. Les psychologues de la prison décrivent bien l’impasse dans laquelle André Claes se trouve :

« L’intéressé́ a été́ interné pour faits de mœurs. Il est considéré́ comme un homme peu doué́ avec une personnalité́ immature. Nous continuons à chercher un établissement résidentiel qui serait prêt à le prendre. Nous partons de l’idée que le séjour dans un établissement structuré réduit considérablement le risque de récidive. Trouver un tel établissement n’est malheureusement pas facile. (…) Il y a un manque de perspectives de reclassement pour cet interné qui veut vraiment trouver un accueil externe mais qui a peu évolué́ (plans et espérances irréalistes), ce qui mène à des situations pénibles et une augmentation de la souffrance de l’intéressé qui se sent non-entendu (…) »

Cette affaire deviendra finalement « l’arrêt Claes » [12], dans lequel la Cour décide que la détention durant des années en annexe psychiatrique constitue un traitement inhumain et dégradant, et donc, une violation de l’article 3 de la Cour européenne des droits de l’homme et rappelle ainsi à la Belgique qu’il est de son devoir de garantir au malade un traitement de qualité.

Ces multiples condamnations ont contribué à ce que la nouvelle loi relative à l’internement ait pour objectif de vider les annexes psychiatriques clairement identifiées comme lieux de « non-soin » pour les personnes internées.

La prison ne soigne pas, jamais ! Pire, elle peut rendre fou, souvent ! L’enfermement, en soi, même pour quelques heures, représente une expérience limite qui plonge le corps perdu du détenu dans un espace/temps confisqué qui ne manque JAMAIS d’affecter, au plus haut point, son psychisme. Au-delà de sa liberté, c’est toute son humanité qui risque de basculer dans la nuit carcérale. C’est de cette extension du domaine de la folie qu’il sera question dans l’épisode suivant.

Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue, à la Clinique de la Forêt de Soignes, octobre 2017

Illustration : Charlotte De Saedeleer

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