Surpopulation carcérale et nouvelles prisons : l’Etat belge va-t-il droit dans le mur?

Une opinion d’avocats, de juges, d’académiques, d’experts du monde carcéral et associatif -23 janvier 2019


Reconnu responsable de la surpopulation carcérale, l’État belge a été de nouveau condamné par un tribunal. Construire plus de prisons ne résoudra pas l’inflation carcérale. Le véritable problème est le recours trop important à la prison.

Ce 9 janvier 2019, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a déclaré l’Etat belge responsable de la surpopulation carcérale existant à la prison de Saint-Gilles et ayant existé à la prison de Forest, et l’a dès lors condamné à ramener le nombre de détenus au sein de ces prisons au nombre de places correspondant à la capacité maximale autorisée, sous peine d’astreinte. Cette décision suit celle ayant été rendue par le tribunal de première instance de Liège le 9 octobre 2018, qui a également retenu la responsabilité de l’Etat belge quant à la surpopulation carcérale que connaît la prison de Lantin, et a désigné un expert pour déterminer s’il fallait supprimer toute surpopulation carcérale ou si une certaine marge de tolérance pouvait être admise et dans quelle mesure. Une troisième décision est attendue à Mons.

Dégradation des conditions de détention et de travail
La surpopulation pénitentiaire signifie que le nombre de personnes enfermées en prison dépasse la capacité maximale de places prévues, mais elle entraîne surtout une dégradation des conditions de détention pour les personnes détenues et des conditions de travail pour le personnel pénitentiaire.

Comment expliquer qu’il ait fallu attendre 2018 et 2019 pour que des décisions condamnant l’Etat belge en raison de cette surpopulation pénitentiaire soient rendues, sachant que cette surpopulation existe depuis longtemps en Belgique (surtout depuis les années 80-90) et que les problèmes qui en découlent sont bien connus et dénoncés depuis tout aussi longtemps par les organes de contrôle des prisons, nationaux, européens et internationaux, le monde associatif, les experts académiques, … ?

La raison est simple : les personnes détenues n’ont, à ce jour, pas accès à des recours effectifs leur permettant de faire valoir les violations de leurs droits fondamentaux. D’une part, l’accès à la justice est rendu compliqué, si pas impossible, par la privation de liberté. D’autre part, le droit pénitentiaire, au carrefour du droit pénal, du droit administratif, du droit judiciaire et des droits humains, est complexe et lui-même peu accessible car il est régi par de nombreuses sources administratives non publiées. En conséquence, très peu d’acteurs connaissent la matière pénitentiaire, et donc, très peu la mobilisent.

Ces décisions n’ont été possibles que parce que l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG), ou Avocats.be, a décidé de s’emparer de la question, en la portant devant les tribunaux, pour les trois prisons les plus problématiques à ses yeux (Bruxelles, Lantin et Mons). Il a ainsi rééquilibré le rapport de force.

Trop de détention préventive
La surpopulation carcérale résulte d’une inflation carcérale. Cette inflation carcérale, quand bien même elle ne causerait pas de surpopulation, doit être interrogée, au vu des dommages que cause la prison, non seulement à l’égard des personnes détenues et de leurs proches, mais aussi à la société toute entière.

Les causes de l’inflation carcérale sont multiples et bien connues. Un recours trop important à la détention préventive (36% de la population pénitentiaire en 2017). Des peines alternatives à la prison trop souvent considérées comme des faveurs, alors que le législateur en a fait de véritables peines. Elles ne sont donc pas prononcées en remplacement de la prison mais dans des situations où l’on aurait, en l’absence de ces alternatives, prononcé une suspension, une amende, etc., et sont par ailleurs assorties de peines subsidiaires d’emprisonnement si bien que si l’alternative ne se déroule pas bien, les condamnés se retrouvent finalement en prison. A cela s’ajoute le fait que les peines de prison infligées sont de plus en plus longues ; les alternatives à la prison sont refusées pour les personnes sans titre de séjour ; le nombre de libérations conditionnelles octroyées diminue ; le manque de moyens déployés en prison pour aider les condamnés à préparer un plan de réinsertion leur permettant d’obtenir une libération anticipée de prison avec un encadrement, etc.

C’est donc aux causes de l’inflation carcérale qu’il faut s’attaquer. En se limitant à la question de la surpopulation carcérale, on pourrait être tenté de croire que construire davantage de prisons serait la solution. Or, l’extension du parc carcéral n’aura aucune incidence sur l’inflation carcérale[1], qui ne peut se résoudre par une ou deux mesures simples. Les études menées montrent que seule une politique réductionniste cohérente permet d’atteindre ce but. Une telle politique implique une décriminalisation (on pense d’emblée au contentieux concernant les drogues), une dépénalisation et une décarcération. La décarcération n’est possible que si tous les acteurs de la justice pénale remettent en cause l’emprisonnement et décident de moins y recourir et si les citoyen.ne.s s’indignent, avec voix, face au surpeuplement carcéral et à la construction de nouvelles prisons[2].

Faux bon sens
La politique pénitentiaire actuellement menée, à première vue, semble relever du bon sens : nous allons nous attaquer au problème de la surpopulation en construisant plus de prisons, qui offriront des conditions de détention plus humaines. Outre le fait que l’extension du parc carcéral ne permettra pas de lutter contre le problème de surpopulation, un tel discours permet de ne pas devoir s’attaquer au véritable problème qu’est le recours trop important à la prison, une institution profondément dévastatrice. Les conditions de détention dans les nouvelles prisons sont par ailleurs loin d’être plus humaines : de trop grandes prisons, éloignées des villes et donc des familles et relations sociales, aseptisées, où le contact humain est réduit, avec une impossibilité d’ouvrir les fenêtres des cellules ou de voir à travers en raison des grillages, etc.[3]. Si demain, la population pénitentiaire était même divisée de moitié, tous les dysfonctionnements liés à la prison resteraient. La surpopulation ne fait que les aggraver, c’est la pointe de l’iceberg.

Alors que les moyens dégagés pour l’aide à la réinsertion, au logement à la sortie, à l’accès aux soins, etc. sont largement insuffisants au regard des besoins, le gouvernement signe des contrats prévoyant la construction de nouvelles prisons [4] hors de prix [5] dans le cadre de partenariat public-privé sous la formule Design Build Finance Maintain, et ce, sans aucun débat démocratique, sans aucune analyse sérieuse préalable (pourtant demandée par la Cour des comptes[6], et sans aucun contrôle financier [7] Récemment, la décision a même prise d’avancer le début des travaux de la mégaprison de Haren, alors qu’un recours est encore pendant devant le Conseil d’Etat quant à la légalité des permis d’urbanisme et d’environnement [8].

Un jugement symbolique ?
Le jugement rendu à Bruxelles prévoit que si la population pénitentiaire dépasse 180 détenus à Forest et 549 à Saint-Gilles, dans six mois, l’Etat devra payer un montant de 1000€ par jour par détenu incarcéré en excès de la capacité carcérale, ce montant étant augmenté à 2000€ après un an, et à 4000€ les années suivantes. Dès lors que la population de la prison de Saint-Gilles fluctue actuellement aux alentours de 800 détenus, dans six mois, l’Etat serait redevable à l’OBFG de pas moins de 251.000€ par jour.

Mais l’Etat belge prendra-t-il ses responsabilités et paiera-t-il ces astreintes à l’OBFG ? On sait en effet qu’il a refusé de payer les astreintes auxquelles il a été condamné dans le cadre des actions judiciaires portées par les détenus lors de la longue grève des prisons de 2016.

Un jugement purement symbolique alors ? Non. La justice a établi la responsabilité et la faute de l’Etat dans le problème de la surpopulation carcérale. Elle le contraint à agir pour résoudre ce problème, dans des délais courts, ne lui permettant pas de compter sur l’érection de nouvelles prisons. Au vu de la détermination de l’OBFG, gageons que celui-ci ira jusqu’au bout des procédures pour que l’Etat belge paie les astreintes qui lui seront dues. L’OBFG pourrait d’ailleurs utiliser ces sommes pour renforcer les droits de la défense et l’accès à l’aide juridique aux personnes détenues.

L’Etat belge est aujourd’hui face au mur : les montants en jeu l’obligent à remettre en question sa politique expansionniste et à enfin prendre en compte les recommandations des acteurs de terrain, des experts et du monde associatif.

(*) Liste des signataires et version originale

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